- Reina, je sais que tu as eu plusieurs activités professionnelles dans ta vie, pourrais-tu me raconter ton parcours? - Avant de marier, j’ai travaillé dans un salon de coiffure. Après, j’ai travaillé dans une boutique qui vendait les produits pour les coiffeurs. J’ai fait ce travail pendant deux ans. Ensuite, je me suis mariée et pendant deux ou trois ans, je suis restée à la maison pour élever mes enfants. Après la naissance de mon troisième enfant, j’ai commencé à travailler un peu dans un salon de coiffure très modeste que j’avais installé dans une des pièces de la maison. Je faisais cela l’après-midi, car la matinée était destinée aux tâches ménagères, aux enfants, préparer à manger, le linge... A cette époque, il n’y avait pas de machine à laver, maintenant, il y a beaucoup plus de facilités pour tout cela. J’ai continué à ce rythme pendant quelques années et plus tard, j’ai eu mon quatrième, puis mon cinquième enfant. Quand ma flle aînée a eu son premier enfant, elle a occupé la pièce ou j’avais installé le salon de coiffure. C’est à ce moment là que j’ai arrêté défnitivement mon activité en tant que coiffeuse pour me dédier entièrement à la maison et garder ma petite flle pendant que ma flle travaillait.
Elles ont vécu pendant deux ans à la maison. Pour moi, c’était comme avoir un sixième enfant. Au fur et à mesure que les enfants grandissaient, ils ont commencé à partir après leur bac pour continuer leurs études et chercher du travail à Montevideo. Quelques années plus tard, j’ai ramené ma mère vivre avec moi pendant quatre ans jusqu’à son décès. Cela fait dix ans de cela. Mon mari est décédé deux ans avant elle et puis je suis restée seule à la maison. Mais la vie continue, j’ai de quoi m’occuper. La maison demande beaucoup de temps pour le ménage, l’entretien et puis mon rôle de mère et de grand-mère me prend beaucoup de temps aussi!
- Justement, tes enfants ont une place très importante dans ta vie et tu es investie dans les leurs. Par rapport à cette question du travail, quelle est ta vision de leurs chemins? - Je suis très fère d’eux. On a essayé de leur donner la meilleure éducation avec le peu de moyens que nous avions à l’époque. Ils se sont faits tous seuls à la vie, ils ont du chercher du travail pour continuer leurs études, certains ont été plus aventuriers et ont pris des chemins lointains hors du pays. Ils sont très responsables, travailleurs, honnêtes, solidaires. Bien-sûr, ils ont des hauts et des bas comme tout le monde, mais toujours avec cette volonté d’aller plus loin et ne jamais baisser les bras et toujours entourés de beaucoup d’amour.
- Maintenant que tu vois tes enfants travailler, quelle est la différence entre l’époque où tu travaillais et la réalité d’aujourd’hui? - Je pense que maintenant, il y a plus de sécurité pour les travailleurs. Je ne sais pas, je dis ça par rapport au travail au noir par exemple. Je me souviens qu’à l’époque ou je travaillais dans cette boutique de produits pour les coiffeurs, chaque fois qu’il y avait un contrôle ou une inspection, les propriétaires me faisaient passer pour une cliente, parce que c’était du travail au noir. A présent, c’est plus diffcile.
Il y a aussi beaucoup de choses qui, à mon époque, n’existaient pas: les grandes surfaces, les centres commerciaux, les ordinateurs, internet, les moyens pour chercher du travail sont différents: maintenant, on peut faire tout ça sans bouger de la maison avec internet, les réseaux sociaux... Envoyer un CV, une candidature, chercher un stage, une nouvelle formation, ça aussi. Mais la concurrence est très dure, donc ceux qui réussissent sont ceux qui sont les mieux préparés et formés.
- Pourrais-tu me raconter ton parcours professionnel? - Ça fait seize ans que je travaille, la gastronomie a été le domaine le plus important, j’ai travaillé pendant dix ans dans un hypermarché en tant que pâtissier, mais j’ai eu aussi d’autres postes comme vendeur dans le rayon mobilier par exemple. J’ai aussi vécu en Nouvelle Zélande pendant un an où j’ai travaillé dans les vignes et dans des restaurants. Une fois de retour en Uruguay, j’ai repris mon travail dans la gastronomie pendant deux ans. J’ai travaillé en tant que pâtissier à nouveau dans l’une des pâtisse- ries les plus importantes de Montevideo et après, pour une question d’horaires et d’exigence, j’ai décidé de changer d’endroit et ça fait deux ans que je travaille dans cette boulangerie, plus petite et dans une ambiance de travail plus familiale. Ceci est un des métiers que je pratique. Je suis aussi thérapeute «gestaltico». Après mon travail à la boulangerie, je reçois des patients chez moi.
- Tu as ces deux activités et tu fais des études en même temps n’est ce pas? - Exactement. Le travail à la boulangerie est alimentaire, cela me permet de payer mon loyer, les transports, manger, tout en continuant mes études en psychologie psychanalytique, ça c’est ma vraie passion. Mon projet de vie est de pouvoir me dédier à plein temps à cela et arrêter le travail ici, car même si j’aime beaucoup la pâtisserie, ce n’est pas ma vraie passion.
Je travaille dix heures par jour du lundi au jeudi et le vendredi, je travaille huit heures et puis j’ai tous les week-ends libres. Ce n’était pas le cas dans mon ancien travail, c’est une des raisons pour lesquelles j’ai changé. - As-tu beaucoup de patients qui viennent te consulter? - À l’heure actuelle, j’ai cinq patients. Mon désir serait d’en avoir trois par jour. Ce serait le minimum. Sept serait pour moi l’idéal pour pouvoir envisager d’arrêter le travail à la boulangerie.
Quelle est ta vision du travail en 2016, dans ta vie et de manière plus générale? Je considère que le plus diffcile à l’heure actuelle, c’est de travailler dans le domaine qu’on aime, notre passion. Comme moi, il y a beaucoup de gens qui font des travaux alimentaires, comme un moyen d’accéder plus tard à autre chose. Dans mon cas, je continue mes études pour pouvoir vivre un jour de ma passion. Pour d’autres, ça peut être un projet de vie, comme une maison. Et puis il y a des gens qui travaillent juste pour vivre. Mais je crois qu’il y a de plus en plus de gens qui arrivent à vivre de leur passion. C’est une tendance qui croît, de plus en plus. Bien sûr, ce n’est pas évident, en Uruguay en tout cas et les aides que tu peux obtenir après trente ans sont moindres, comme les bourses, les prêts pour des projets...
- Sens-tu un changement de mentalité par rapport au travail ? - Oui, mais je sens qu’il y a beaucoup de peur de la part des gens. J’ai l’impression que les gens ont du mal à prendre des risques. Certains préfèrent garder leur travail alimentaire parce qu’ils ont un bon salaire par exemple, malgré le fait que ce ne soit pas leur vraie passion.
Après, cela dépend aussi du contexte: si tu as des enfants, des gens à ta charge. Quand tu es tout seul, c’est plus facile de prendre des initiatives. En défnitive, c’est plus diffcile quand la stabilité d’une famille dépend de toi.
- Pourrais-tu me faire un résumé de ton parcours dans le monde du travail? - Mon premier travail était au sein du commandement de l’armée de l’Uruguay en tant qu’assistante comptable J’ai un diplôme d’assistante comptable que j’ai fait en parallèle de mon baccalauréat. J’ai eu ce travail pendant dix ans. Pendant ce temps là, j’ai continué mes études. J’ai un diplôme d’infrmière, mais je n’ai jamais exercé en tant que tel. J’ai aussi un diplôme de technicienne en beauté, podologie et coiffure. En 2001, je suis parti au Sinaï pendant un an avec les forces armées de l’Uruguay dans le cadre des missions de paix de l’ONU, toujours en tant qu’assistante comptable. À mon retour, je suis restée quelques mois en Uruguay et puis je suis partie vivre en Colombie pendant cinq ans. J’ai eu deux emplois là-bas. Le premier, c’était dans un Call-center, j’étais manager du personnel et directrice de missions. Ensuite, j’ai travaillé dans une entreprise qui organisait des séminaires technologiques, informatiques et dans les télécommunications. J’avais un poste dans le secteur des relations publiques, dans le pôle communication.
Après le décès de mon père, j’ai décidé de rentrer en Uruguay. J’ai du recommencer à partir de zéro. Pendant six mois, j’ai travaillé dans un salon de coiffure. Plus tard, j’ai trouvé un autre travail dans une agence immobilière. J’ai beaucoup aimé mon travail dans la communication, raison pour laquelle, j’ai décidé de reprendre mes études dans ce domaine. J’ai obtenu une licence en science de la communication. Quelques temps plus tard, j’ai eu l’opportunité de rejoindre l’administration publique au sein de la faculté de médecine, encore une fois en tant qu’assistant comptable, c’est toujours mon emploi actuel.
- Quels sont tes projets pour le futur? - Je suis très contente avec mon travail, mais j’aimerais continuer à avancer dans le domaine de la communication. C’est pour cela que je suis en train d’élaborer un projet que je voudrais présenter à la Direction pour créer un pôle de communication ici, à la faculté de médecine. Je crois qu’il est absolument nécessaire d’en créer un, car c’est quelque chose qui, pour le moment, n’existe pas.
Et puis, en dehors du travail, nous sommes, avec mon mari, en train de construire notre future maison. On fait partie d’une coopérative, c’est un groupe de gens comme nous, qui se rassemblent pour demander un crédit à l’État pour la construction d’une tour. C’est un des moyens d’accéder à la propriété immobilière quand on a peu de ressources. Si tout va bien, on aura notre appartement d’ici deux ans.
Valentino, quelle est ta profession ? J’ai actuellement deux emplois. En journée, je travaille au sein de la faculté vétérinaire et le soir à la caisse d’un parking privé. Avant j’ai travaillé pendant six ans dans une entreprise dédiée aux services internet. J’avais un très bon salaire et l’ambiance de travail était très agréable. Malheureusement, l’entreprise a fait faillite et je me suis retrouvé sans emploi pendant deux ans.
C’est à ce moment là que j’ai trouvé le poste dans le parking. Quelque temps plus tard, ma compagne m’a informé d’un concours pour un poste de régisseur à la faculté vétérinaire et pour lequel je pouvais postuler, car il faut savoir que je n’ai pas fni mes études secondaires. J’ai obtenu la troisième place du concours. Pour différentes raisons, les deux personnes devant moi ont refusé le poste et par conséquence, c’est moi qui l’ai eu.
Depuis mon arrivée, j’ai réalisé pas mal de changements dans l’organisation de l’équipe et de l’espace de travail, commençant par une nouvelle disposition et rangement des meubles, jusqu’à la mise en place d’un tableau pour la gestion des clés de toutes les salles, classés par étages, avec différents coloris, etc.
Malheureusement, ce n’est pas la même chose dans mon emploi au parking. Sincèrement, je ne l’aime pas du tout. Même parfois, je le trouve dévalorisant.
Je fais le sacrifce de la garder, car c’est la seule manière de le garder, car c’est la seule manière d’avoir un niveau de vie à peu près correct.
Avec ma compagne Alejandra, nous sommes en train de construire notre future maison, mais elle ne sera fnalisée que dans deux ans.
Quelle a été ta profession ? Je suis diplômée de la faculté de droit en tant que docteur en droit et sciences sociales, c’est-à-dire avocate.
Comment a été ton rapport avec le travail? J’ai commencé ma vie professionnelle à 18 ans et je viens de la fnir à 62, ce qui veut dire 44 ans de travail. Les 16 premières années dans le domaine de l’éducation, j’étais conseillère pendant 14 ans et 2 ans en tant que professeur d’histoire. Le reste de ma carrière, j’ai été directrice juridique dans le tribunal de justice administrative de l’Uruguay. Ma vie professionnelle a été très bonne, mes rapports dans le travail ont été très amicaux surtout dans l’éducation secondaire. Ces années ont été très fertiles et joyeuses et le rapport avec les élèves très gratifant. J’étais heureuse, c’est déjà beaucoup. Les autres années, quand j’étais avocate, étaient très bien aussi.
En résumé, j’ai toujours fait ce que je voulais et dans les domaine dans lesquels j’avais été formée. Mais le travail n’a jamais été le moteur de ma vie. Je n’ai pas suivi mon métier par vocation, car je ne crois pas que le travail en lui-même soit le destin de l’homme.
- Tu viens de prendre ta retraite tout récemment et je voudrais que tu m’expliques le chemin que tu as parcouru dans le monde du travail. - J’ai travaillé pendant quarante ans. Mon premier travail était dans une usine de velcro, de fermetures à velcro. Je travaillais à l’accueil. J’ai travaillé aussi pour ANCAP, une institution publique qui gère les carburants, entre autres. J’ai aussi travaillé dans un collège en tant que secrétaire. Quelques temps plus tard, j’ai eu la possibilité de passer un concours dans une radio qui s’appelait «Ta carrière et la radio». Ce n’est pas moi qui ai gagné le concours, mais grâce à cela, ils m’ont proposé un poste, en tant que journaliste.
Le travail a été pour moi le chemin vers la liberté dont je profte maintenant. Le travail a aussi été un outil pour faire des choses pour moi et pour les autres. Un moyen de me sentir utile, le travail bien fait. J’ai toujours travaillé pour moi, jamais pour les chefs ni pour les entreprises qui m’ont engagée, je le faisais pour moi. En même temps, le travail m’a permis d’avoir une rentrée d’argent suffsante pour mieux profter de ma liberté maintenant. Je considère que le travail bien fait et toujours bénéfque, pour moi et pour les autres.
- A quel point ta vie personnelle a infuencé ta vie professionnelle? - Je crois que tout est lié, le travail nous donne un cadre qui conditionne notre rythme de vie. Dans mon cas et en tant que journaliste, je dois toujours être informée de tout ce qui se passe. Les week-ends par exemple, j’essaye de m’informer sur les événements les plus importants pour organiser le travail du lundi matin. Ceci conditionne d’une certaine manière comment j’utilise mon temps libre. J’ai une grande responsabilité. Je dois essayer d’être le plus objective possible dans le traitement de l’information, pour ne pas infuencer celle-ci avec mes convictions, que ce soit politiques, religieuses, ou autres. Être consciente que tout ce que l’on fait a une répercussion.
Pour moi, il est très important de se rendre compte que le travail n’est pas seulement un moyen de gagner de l’argent. Et ce qui me pose un problème, c’est le terme «retraité» qui en Espagnol veut aussi dire «passif». Cette notion de «c’est fni», on ne fait plus rien, on n’est plus utile, ceci me pose vraiment des soucis. C’est pour cela que beaucoup de gens continuent à travailler le plus longtemps possible, comme si le fait de ne plus travailler était synonyme de ne plus vivre.