Quel rapport entretiens-tu avec ton corps et pourquoi as-tu choisi cette utilisation de la peinture ?
Aujourd’hui, j’accepte et j’aime mon corps tel qu’il est, avec ses qualités et ses défauts. Ce que j’ai cherché dans la peinture, c’est comme une force, un peu bestiale, qui coule dans mes veines. C’est en même temps sauvage et en même temps, on ne peut pas combattre cela. C’est quelque chose qu’il faut accepter au fur et à mesure.
Tu as du te réconcilier avec ton corps ? - Oui ! On s’est beaucoup disputé lui et moi. On n’était pas d’accord. On n’était pas d’accord non plus avec tout ce qu’on nous impose comme forme, comme norme. A l’adolescence, je l’ai caché beaucoup... Je l’ai un peu cassé à ma façon... Et après, en grandissant, j’ai compris qu’il fallait accepter, j’ai compris comment mon corps fonctionnait. J’ai appris à le montrer, à l’aimer et à découvrir plein de choses en fait. Finalement un corps c’est ce qui permet de se déplacer, de s’exprimer aussi. Tout ne passe pas par la parole.
- Est-ce que tu considères que la vie est un combat ? - Bien-sûr. Tous les jours. Mais un combat pour moi ce n’est pas nécessairement quelque chose de négatif.
- Qu’as-tu choisi de partager ? - J’ai choisi de partager le fait que je,... Avec tout ce que j’ai vécu, j’ai un peu tourné le dos à moi-même. Je ne m’accepte plus comme je suis et même si on me dit que j’ai un beau corps, moi je ne le vois plus. Je sais que je ne suis pas moche, mais il y a quand- même des complexes qui restent et des fois, c’est dur de s’aimer et s’accepter, à nouveau, de vivre avec quelque chose qui je sais reviendra un jour.
Moi je n’ai rien. Je m’ai moi. Je m’aime, mais je ne suis pas sûre d’être dans le bon corps. J’aimerais bien être dans un autre corps, en bonne santé. Bon, je le décore quand-même !
- Qu’est ce qui t’a amené à venir aujourd’hui ? Quelle est ta relation avec ton corps ? - J’ai une relation avec mon corps qui est seulement confortable depuis... Pas longtemps, quelques années. Du coup, c’est important pour moi de faire ce pas là, d’assumer des choses que je n’assumais pas avant.
C’est juste que j’ai des articulations très souples et qu’elles partent un peu trop dans tous les sens. Je me suis rendue compte ces dernières années que c’était quelque chose qui était lié à autre chose, de psychologique, je n’ai pas fait le lien pendant des plombes... Je pense que j’ai passé pas mal de temps à me sentir écartelée entre plein de choses, pas forcément négatives, mais vouloir trop être à différents endroits en même temps, faire plaisir à trop de gens
J’adore cette idée que chacun puisse être complètement multiple et aussi en évolution permanente. On ne se cantonne jamais aux mêmes choses, car on évolue et parce qu’on n’est pas tout le temps dans les mêmes environnements, qui eux-mêmes évoluent aussi. On peut avoir cette richesse là, mais qu’est-ce qu’on en fait après et est-ce qu’il n’y a pas quand-même une façon de se sentir un ? Uni avec toutes ses différences ?
- Je crois que j’ai voulu choisir des couleurs qui mettent en valeur certaines parties de manière évidente parce que j’ai travaillé seulement avec deux couleurs. En fait j’ai utilisé le vert pour représenter ce qui est vivant, le bleu est plus ou moins une combinai- son de ce qui est artifciel et ce qui est mort.
Les lignes bleues représentent ce qui est mort dans mon pied, ce que je n’arrive pas à utiliser pour le moment, ce qui ne fonctionne pas correctement.
- En quoi ton accident a changé ta vie ? Qu’as-tu appris de cette expérience ? - J’ai appris qui sont mes vrais amis. J’ai appris comment dépasser cela et puis avancer et ne pas laisser quelque chose comme ça t’arrêter de faire des projets. C’est grâce à l’argent que j’ai touché suite à l’accident que j’ai pu venir ici. D’une façon un peu glauque, j’ ai l’impression que ma vie est meilleure maintenant.
- Où en es-tu dans ton parcours de guérison ? - Pour être honnête, je suis encore frustré par rapport aux choses que je peux ou pas accomplir, avec ce poids mort, littéralement,... C’est une barre de titane. Je dois faire un effort particulier, mais fnalement, il y a quand-même de belles choses qui en résultent.
Qu’as-tu voulu exprimer à travers cette peinture ? Une libération, ce qui sort beaucoup en ce moment. C’est très drôle en fait de faire cette séance maintenant. Ça fait trois semaines que je me sens où je veux être dans mon corps et c’est passé par l’acceptation de beaucoup de choses.
J’ai toujours été seule, depuis petite en fait. J’ai grandi avec ma mère, j’ai eu cette habitude de devoir être suffsante et de devoir, même petite, ne compter que sur moi- même. De devoir être indépendante et... De devoir être forte, comme ça. C’est comme ça, on est fort. Parce qu’il n’y a pas le choix.
J’ai le droit de ne pas être Wonder Woman, d’être moi avec mes articulations Ikéa, avec mes trous, mes vides, et c’est bien ! ». C’est pas « bien » en fait, « c’est ». Plus je suis dans cet état à me dire « c’est », plus les vides se résorbent.
Quand on m’a appris par téléphone que la raison pour laquelle on m’avait hospitalisé d’urgence et ouvert le crâne une dizaine de jours auparavant était un cancer,... J’ai pleuré. J’ai pleuré une dizaine de minutes, abasourdi, soutenu silencieusement par mon compagnon et une amie. J'ai relevé la tête en leur disant : « On s’apitoie et pleure des heures ou on fait de la musique ? »
Quand j’allais en radiothérapie, à chaque séance je me répétais ce mantra que ma belle famille Uruguayenne m’a transmis : « Me amo, me amas, me aman, me sano, me sanas, me sanan. » : « Je m’aime, tu m’aimes, ils m’aiment, je me soigne, tu me soignes, ils me soignent ». Grâce à ce mantra, je pouvais non seulement faire face, mais aussi accepter ce que je traversais. Ils m’ont montré le chemin.